Le nationalisme français s'est construit sur l'idée que l'unité nationale se fonde sur un seul territoire, une seule langue, des valeurs bien définies et une histoire unique. L'homogénéisation de l'identité française a donc eu lieu et continue de sévir au détriment de la diversité et de la richesse des cultures régionales ou plurinationales. Le postulat du nationalisme à la française c'est qu'on est soit uniquement Français, soit pas vraiment Français.
L'unité linguistique est nécessaire à l’existence d’un peuple à condition que cette unité ne soit pas exclusive ou répressive comme ça a été le cas. Il y a plusieurs décennies, en France on parlait gascon, normand, angevin, breton, poitevin, etc.… Ceux qui parlaient ces langues étaient surement considérés comme des peuples à part entière du fait de leur identité culturelle. Pour les assimiler à la nation française, au peuple unique français, selon l’idée qu’on avait conçue a priori de cette identité ; il a fallu interdire de parler ces langues et de penser autrement que comme la nation l’exigeait. Jusqu’à aujourd’hui le ressentiment est présent. Qui n’a jamais entendu un Breton parler de la France comme si sa région n'en faisait pas partie ? Est-ce que ces populations se seraient senties moins françaises, si on les avait autorisées à conserver une double identité ? Ou est-ce que, au contraire, la répression de leur identité régionale, pour les assimiler de force à la nation française, n’a pas créé un ressentiment néfaste à l’unité du peuple ? Aujourd’hui on commence à se rendre compte que cette tentative d'effacement des identités régionales constituait une erreur. Par ailleurs, de nombreux français possèdent une culture multiple qui s'exprime notamment dans la langue qu'ils parlent : italien, créole, portugais, arabe, bambara, wolof, chinois, etc. Ne serait-il pas judicieux de tirer les leçons de nos erreurs vis-à-vis des cultures régionales et de les appliquer aussi aux identités plurinationales pour une réhabilitation du droit de chacun.e de parler ses langues et de vivre en assumant pleinement ses identités multiples ?
La présence d’une langue commune peut donner du sens ou une certaine légitimité au territoire commun : si j’ai grandi en Seine et Marne et que je vais à Marseille, je ne peux me sentir chez moi que parce que je peux discuter avec les gens dans la langue que nous avons en commun, c’est-à-dire le français. Mais en réalité je ne suis pas chez moi parce que je ne connais pas les rues par cœur, que les odeurs de la terre et de la ville ressemblent plus à Naples qu’à Noisiel et que la nature et le climat ressemblent plus à Beyrouth qu’à mon chez moi en Seine et Marne. La notion de territoire commun ne peut avoir de sens que parce qu’on a une langue commune, en aucun cas elle ne prend son sens par amour pour les frontières. Le territoire n’est commun que parce qu’il présente une certaine communauté culturelle, et non parce que nous y sommes réunis par des frontières hermétiques. En aucun cas les frontières ne peuvent être considérées comme inclusives, au contraire elles excluent l'Autre.
Que reste-t-il ? Les valeurs communes et l’histoire. Disons que les valeurs communes peuvent avoir du sens à condition qu’elles ne soient pas vides de sens et que ceux qui incarnent la volonté du peuple français les défendent. Si aujourd’hui nous sommes encore nombreux à croire que la liberté, l’égalité et la fraternité sont des valeurs qui méritent d’être défendues, nos dirigeants qui devraient être en principe les premiers à les incarner, ne défendent plus hélas qu'une seule valeur, l'argent.
Reste l’histoire.
Je suis française. Je suis née en banlieue parisienne. J’aime les rues de mon quartier, les couleurs des gens qui l’habitent, les odeurs de leurs cuisines aux saveurs infiniment vastes, les vieux arbres qui m’ont vu grandir, les terrains vagues, les jardins, les parcs, les bords de Marne sauvages ou aménagés. J’aime l’odeur de l’herbe coupée. Je sais que tel arbre fait telle feuille, telle fleur, au printemps, en été, ou en automne. Ce quartier où j’ai grandi et les quartiers alentours, c’est chez moi. C’est ici mon pays et c’est parce que je l’aime que j’aime la France. On n’a besoin de rien d’autre que du sentiment de se sentir chez soit pour aimer un pays.
Pourtant la France m’a menti en m’enseignant mon histoire. Mes ancêtres n’étaient pas Gaulois, mes ancêtres étaient Mésopotamiens, araméens, romains, arabes, ottomans, albanais, peut-être même mongols… Mais a-t-on besoin de mentir ? Postulons que nous ayons besoin de mythes fondateurs pour donner corps à l’unité d’un peuple. Est ce qu’Astérix et Obélix ne suffisent pas à rendre les populations gauloises sympathiques aux générations de français qui naissent ? Leur dire que ces populations occupaient la France bien avant nous est ce que ça ne suffit pas ? Est-ce que nous avons besoin de croire que ces gaulois sont nos ancêtres ? Pourquoi aurait-on besoin d’une filiation mythique pour appartenir au peuple français ?
Est ce qu’on ne pourrait pas plutôt être tout simplement unis par la conscience d’avoir un avenir commun à construire ensemble ?
L’histoire est un élément très problématique de la conception uniformisante d’un peuple ou d’une patrie, dans le sens où l’histoire telle qu’elle est racontée en France, est synonyme, dans la construction nationale, de filiation, donc aussi de race, d’ethnie, d’origine, etc. … La langue, le territoire, les valeurs communes, à condition qu’ils ne soient pas exclusifs, peuvent unir au présent. Mais l’histoire dans sa dimension filiale est inacceptable. On ne construit pas une culture nationale tournée vers le passé et en excluant des franges entières de la population, c’est même l’exact contraire d’unir ! Personne ne sait vraiment qui sont ses ancêtres, ce qui n’empêche pas de trouver un intérêt certain à connaître l’histoire des populations et des cultures qui ont habité un territoire donné.
La conscience d'un avenir commun peut nous unir. Le futur pourrait être une partie de cette alternative dont nous avons désespérément besoin. Encore faut il le vouloir.